La marée qui s’engouffre dans l’entonnoir de la Gironde crée une onde qui, par endroits, va déferler, c’est le mascaret qui est surfé depuis une quarantaine d’années. Quand on habite dans le coin, le phénomène fait partie des curiosités locales. Un après midi de juillet 2017, je me retrouve en surplomb de la rivière pour voir et photographier, pour la première fois, la vague. Il a des surfeurs dans l’eau mais le spectacle est bien différent de l’image d’Épinal. À la place du sable, du limon. Pas de cocotiers mais des rangées de maïs et des vignes. L’eau est beige et opaque.
Les surfeurs se mettent à l’eau et disparaissent en aval de la rivière. On attend. Je ne sais pas si j’ai entendu en premier la clameur des spectateurs qui annonçaient l’arrivée de la vague, si j’ai entendu son grondement ou si j’ai vu cette barre mousseuse qui remontait à contre courant. C’est une vision extra-ordinaire. Le sens d’écoulement de la rivière qui s’inverse, un vague à plus de 100 kilomètres à l’intérieur des terres et des surfeurs qui la chevauchent. Si le phénomène naturel est fascinant, ceux qui le pratiquent le sont encore plus. Une douzaine de quadras, de grandes planches, des combinaisons plus ou moins usées, et pour l’étranger le sentiment d’une communauté refermée sur elle même.
Le photographe n’est pas forcement bien vu. C’est celui qui va divulguer des images du spot. C’est à cause de lui que des nouveaux venus vont tenter de surfer, de voler, la vague aux locaux. On écoute, en enregistre, on fait attention à ce que l’on montre et comment on le montre pour se faire accepter. Derrière l’apparente uniformité du groupe se dévoilent des profils bien différents. Un local devenu instit en région parisienne qui renvient chaque été sur la vague, un kiné et son frère entrepreneur dans le bâtiment, un routier son fils et sa fille, un ancien prof de fac septuagénaire qui a tout surfé avant tout le monde, un surfeur qui enchaîne les allers retours entre l’Indonésie et la Gironde, un opérateur lidar qui a été gérant d’un hôtel restaurant à deux pas de la vague et bien d’autres encore. Des profils connectés par la vague, soudés par la boue de la rivière, qui mettent de coté leurs différences pour ce concentrer sur leurs points communs. Une matière finalement tout aussi attachante à photographier que la vague.